Les vagues de chaleur successives de cet été ont pu être ressenties partout, même en montagne au bord des lacs d'altitude… Ces véritables « sentinelles du climat » n’ont pas été épargnées par la chaleur et la sécheresse. Du nord au sud des Alpes françaises, comme dans les Pyrénées, les capteurs de température installés dans l’eau sont unanimes : tous les records de température des lacs des années précédentes ont été dépassés.
A 2 000 m d'altitude, des températures records
Dès le mois de juillet, dans les réserves naturelles de Haute-Savoie, les températures dépassent les 20°C à 2 m de profondeur pour les lacs d'Anterne, de Pormenaz et du Brévent (situés respectivement à 2063 m, 1945 m et 2159 m d’altitude), à comparer aux 19°C enregistrés au maximum jusqu’alors sur l’ensemble des lacs suivis par le Réseau Lacs Sentinelles (mesuré en 2019 au lac de Pormenaz).
Dans le Parc national de la Vanoise, l’exemple du lac de l’Arpont à 2670 m d’altitude est frappant avec des températures supérieures à 17°C cet été, alors que le lac ne dépassait pas les 6°C avant l’été 2019, lorsqu’il était encore connecté aux eaux du glacier.
Mêmes observations dans les lacs suivis par les équipes du Parc national des Ecrins. Avec une préoccupation également par rapport au niveau des lacs, en particulier au lac du Combeynot : celui-ci, pourtant profond de 16 m en début d’été, est à sec depuis fin juillet … Non seulement l’assèchement du lac est un événement relativement rare (il s’agit de la 5ème fois en 50 ans), mais lorsque le lac s’était asséché dans le passé, ce n’était pas avant le mois de septembre.
Plus au sud, les lacs du Mercantour sont également touchés par la canicule et ont atteint entre mi-mai et fin juillet 2022 les températures les plus élevées observées depuis la mise en place du suivi en 2015. La température de surface du lac du Lauzanier a ainsi dépassé les 15°C à la mi-juillet, alors que les températures enregistrées à cette période avoisinent habituellement les 11°C. Quinze kilomètres plus au sud, la température est montée jusqu’à 17°C dans le lac du Rabuons à 2500 m d’altitude !
Toutes ces données sont issues des capteurs installés dans 22 lacs des Alpes depuis une dizaine d’années, grâce aux efforts du Réseau Lacs Sentinelles. Ces observations, qui seront analysées plus précisément dans les semaines à venir, montrent bien des changements toujours plus inquiétants en haute montagne.
Ces niveaux de réchauffement (de l’ordre de + 8°C dans certains lacs lors des épisodes de canicule par rapport aux moyennes habituelles) influencent en cascade tout l’écosystème lacustre.
Des écosystèmes qui changent
La température de l’eau est un paramètre déterminant pour de nombreux processus physiques et biologiques. En premier lieu, la température influence la teneur en oxygène dissous dans l’eau.
Les lacs d’altitude sont habituellement des écosystèmes froids peuplés de rares espèces animales et végétales accommodées à ces conditions. Même s’il est encore difficile d’évaluer les conséquences d’étés plus chauds sur le fonctionnement biologique et les équilibres écologiques de ces lacs, la sensibilité des environnements de montagne laisse présager des modifications en cours d’une amplitude encore sous-estimées.
Le réchauffement des eaux pourrait aussi favoriser la présence d’espèces d’altitudes inférieures, au détriment d’espèces endémiques adaptées aux conditions de plus faibles températures. Les études en cours sur le plancton (végétaux et animaux aquatiques de taille micrométrique à centimétrique) des lacs confirment la sensibilité des espèces endémiques aux effets de la température.
Le réchauffement de ces milieux sensibles n’a malheureusement pas été limité à cet épisode estival caniculaire. A l’échelle annuelle, les périodes d’englacement des lacs d’altitude sont de plus en plus courtes. Dans le Parc national de la Vanoise, le désenglacement du lac de l’Arpont s’est produit un mois plus tôt qu’en 2019. Dans le Parc national du Mercantour, les lacs de Bresse inférieur et supérieur, ont dégelé un mois avant les dégels les plus tardifs (en 2017 et 2018).
Pour en savoir plus : Fiche : Les lacs de montagne se réchauffent-ils avec le changement climatique ?
Le réseau Lacs Sentinelles
Née de l’intérêt pour les lacs d'altitude des gestionnaires d'espaces protégés et des scientifiques, l'initiative « Lacs Sentinelles » coordonne les efforts de recherche et d’observation sur les lacs d'altitude à l'échelle alpine. L'enjeu est d'améliorer la compréhension de leur fonctionnement et des menaces qui pèsent sur ces lacs, afin de mieux les préserver.
Milieux emblématiques des montagnes, à haute valeur sociale, culturelle et écologique, les lacs d'altitude sont des écosystèmes fragiles. Leur localisation en tête de bassin versant et les conditions climatiques extrêmes auxquelles ils sont soumis, engendrent un fonctionnement spécifique encore mal connu. Les études récentes nuancent leur image de nature préservée, généralement attribuée en raison de leur éloignement des sources de pollution.
Pour en savoir plus : Résultat de l’enquête « Utilisation et impacts des lacs d’altitude »
Le dispositif « Lacs Sentinelles » a mis en place des protocoles de suivi et de mesures de différents paramètres sur les lacs d’altitude. Ces observations permettent d‘étudier l’évolution des lacs d’altitude avec les changements actuels, notamment en lien avec le changement climatique, mais aussi dans le cadre de la fréquentation accrue des écosystèmes d’altitude, qui sont vus comme des « refuges de fraicheur » par les touristes en été.
Pour en savoir plus : www.lacs-sentinelles.org ou la page dédiée sur notre site : Lacs Sentinelles
Le réseau Lacs Sentinelles regroupe de nombreux partenaires : Asters-Conservatoire des espaces naturels de Haute-Savoie, l’Office français pour la biodiversité, les Parcs nationaux des Ecrins, du Mercantour, de la Vanoise, EDF, les laboratoires des recherches : CARRTEL, Edytem, IMBE, CEREGE, UNIL, LLSETI, la fédération de pêche de Savoie et la communauté de communes Cœur de Maurienne-Arvan.