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Vallée de la Tinée

Maire de Saint Dalmas le Selvage, exploitant agricole & éleveur ovin

« Je suis un peu le dernier des Mohicans. » 

 

Jean-Pierre Issautier

Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot

 

Montagnard de père en fils

Je suis né à Saint-Etienne et je vais vous raconter quelque chose. Je suis né le 19 février et la route était coupée par des avalanches. A l’époque, il y avait beaucoup d’avalanches et peu de moyens pour la route. Le médecin voulait faire descendre ma mère sur un traîneau pour qu'elle accouche à Saint-Etienne. Ma mère a dit  « Pas question !». Elle est descendue à skis et quand elle est arrivée à Saint-Etienne, je suis né.

J’ai eu la chance d’avoir un grand-père et cet homme, comment dire, il m’a transmis des choses. Ce sont des choses qu’on n’oublie pas.

Mon grand-père, c’est quelqu’un qui a fait la guerre de 14, qui a été le premier adjoint de la commune pendant la guerre de 39-40. C’est quelqu’un qui avait des valeurs et qui me les a transmises.

Mon grand-père m’a toujours dit qu’il fallait respecter les autres, qu’il ne fallait pas rendre les coups pour les coups, qu’il fallait être généreux, qu’il fallait aider les autres, les respecter. Et ça, c’est quelque chose qui est resté en moi. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’individualisme, beaucoup de jalousie alors qu’avant, à cette époque-là, les gens étaient beaucoup plus solidaires parce qu’ils étaient tous sur le même pied d’égalité. Et il y avait une solidarité qui s’exerçait les uns envers les autres. Je me souviens mon grand-père, quand il y avait des personnes âgées, il allait leur porter le bois, il allait les aider à porter le foin avec le mulet. 

Il y avait un attachement à ce que les gens soient heureux. Lui voulait que les gens soient heureux parce qu’il avait été malheureux dans sa vie. 

Pas dans sa vie personnelle, mais dans les événements qu’il a connus. Il me parlait beaucoup aussi quand on était au champ, il m’expliquait les choses : les champs, à qui ils appartenaient, comment on vivait avant. Mon grand-père m’a appris à rempailler les chaises, à faire des paniers, à réparer les outils. Il m’a appris des tas de choses. Et aujourd’hui, j’ai des petits-fils qui me disent : « Allez Papi, il faut que tu m’apprennes ! » D’ailleurs, j’ai un petit fils qui a commencé à faire les paniers. Tout seul, un jour, il s’est isolé et il est revenu avec un panier. C’est pas beau ça ? C’est un bonheur ! 

 

Maire de père en fils

Mon père a été maire, il a été élu l’année où je suis né. J’ai eu l’opportunité d’avoir deux « mère / maire » à la maison !

Alors pourquoi être devenu maire à mon tour ? C’est une longue histoire. Je ne voulais jamais remettre le doigt là-dedans, parce que j’ai énormément souffert de la période où mon père a été maire. Parce que, vous savez, mon père, il a trouvé une commune moyen-âgeuse.

Il n’y avait rien. Moi, je faisais mes devoirs à la bougie et à la lampe à pétrole.

Il y avait une micro-centrale ici, mais en courant continu et le soir, quand tout le monde allumait, il y avait une petite lueur. Par contre, à mesure que les gens se couchaient, le courant augmentait et les lampes éclataient. Du coup, on faisait les devoirs à la lampe à pétrole. J’ai quand même connu ça ! On avait de l’eau qui n’était pas potable. L’hiver, dans des gouttières en bois, ça gelait, les conduits étaient gelés, on n’avait rien. Le bâtiment communal n’existait pas, c’est mon père qui l’a fait, enfin qui l’a restauré. Les rues étaient couvertes d’orties... Il a amené l’eau potable… Il a aussi créé toutes les pistes qui desservent toute la commune. Il a refait les fours communaux, il a fait des douches pour les gens parce qu’il n’y avait pas de douches. C’était dans les années 50.

Ça ne s’est pas toujours fait, comment dirais-je, d’une manière agréable. Quand mon père a créé les pistes par exemple, les gens n’étaient pas contents parce qu’elles empiétaient un peu sur leurs propriétés. Il y a des jours où, je me souviens, le chef de chantier est venu voir ma mère et lui a dit : « Venez vite, vite, il faut cacher votre mari, parce que le gars, il a le fusil, il veut le tuer ! ». J’ai vécu des trucs comme ça. Avant les gens défendaient leur lopin de terre chichement !

Il y a eu une évolution. C’est un passé qui s’est fait sans transition. Les anciens sont partis et les nouveaux sont arrivés mais dans un autre monde.

Surtout la population actuelle, qui vit avant tout du tourisme. Il y a beaucoup de personnes qui sont artisans maçons, plombiers, électriciens. L’hiver, ils travaillent à la station, à Auron. Il y a beaucoup de personnes aussi qui ont des gîtes, des restaurants et tout ça. C’est une population qui s’est renouvelée, mais qui n’a plus de lien avec le passé.

Moi, j’en ai mais je suis un peu le dernier des Mohicans. 

Les gens ont été durs avec mon père parce qu’ils refusaient le progrès. Par exemple, quand il a fait les douches, ils lui disaient : « Ah mais qu’est-ce que tu t’emmerdes là, on ne s’est jamais lavé le cul », excusez moi l’expression. « Qu’est-ce que tu vas nous mettre des douches ici ? » Vous voyez la mentalité du village. Je suis un peu cru, mais c’est exactement ça.

 

Chez moi

Être montagnard, c’est avoir une relation particulière avec l’environnement, avec la montagne. C’est aimer la montagne, c’est aimer et protéger ce qui nous entoure. Et surtout respecter la nature.

J’ai un endroit particulier, c’est chez moi. Chez moi, c’est la maison de mes ancêtres et je l’ai restaurée. J’y habite, je m’y sens heureux et je m’y sens bien. Et il y a aussi, comment dirais-je, le lieu d’estive de ma famille. C’est particulier, parce que quand j’y suis, je ressens quelque chose de spécial.

C’est quelque chose qu’on ne peut pas décrire mais je sens qu’il y a quelque chose, des vibrations, un passé, je me sens chez moi.

C’est à une heure de marche d’ici, en cœur de parc. J’en connais tous les coins et les recoins. Et bon, j’y ai gardé les brebis à 5 ans, avec mon grand-père, tout seul. Et mon grand-père m’a raconté des histoires… Il y a un passé, c’est le berceau de ma famille.


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