Vallée de l'Ubaye
Garde-moniteur au Parc national du Mercantour
"On peut passer 100 fois sur le même sentier, si on a le regard, on verra toujours quelque chose de nouveau. On sait que par ici, il y a tel oiseau qui niche, qu'ici il peut y avoir la harde de chamois. On se construit une géographie intime de la montagne..."
Portrait par Eric Lenglemetz
Recueil de témoignage par Noëlie Pansiot
Mon métier et ma passion, c’est la même chose, c’est la nature.
C’est mon parrain qui m’a fait découvrir la montagne, parce que je suis originaire de Bourgogne, une région de collines. Il m’a fait découvrir les Aiguilles Rouges et tout gamin, j’ai eu envie de faire garde de Parc national.
La montagne, les animaux, être dehors, c’était le truc qui m’attirait. A l’école, on m’a vite dit : « il faut être né dans les vallées où il y a les parcs pour être embauché, sinon tu n’y arriveras pas. Essaie de faire un autre métier ! » Du coup, je me suis orienté vers un métier de forestier, qu’on pouvait faire un peu partout en France. J’avais un peu abandonné l’idée de travailler dans les parcs parce que je me disais que c’était inaccessible et puis le hasard de la vie a fait que j’avais des copains qui ont fait leur service national civil, objecteur de conscience à l’époque, au Parc des Cévennes et du coup j’ai fait pareil, pendant un an et demi. C’était un peu plus long que le service militaire mais ça m’a permis de vraiment m’intégrer, de découvrir le métier de garde dans un parc national. A l’issue de ça, il y a eu un concours que j’ai passé et que j’ai eu. J’ai eu la dernière place qui restait, au Parc des Cévennes. Je me suis retrouvé dans un petit village, Saint Germain de Calberte, où j’ai passé 12 ans avec un métier passionnant mais très différent de ce qu’on fait dans le Mercantour.
Ça me tient beaucoup à cœur dans le boulot de faire partager la passion de la nature, la pédagogie.
Un réseau de passionnés pour une espèce passionnante
J'anime un réseau d’observateurs sur le gypaète barbu au sein du Parc : c’est un échange permanent avec les gens. Les bénévoles font des observations sur le terrain, les envoient. Il faut animer, leur restituer de l’info. C’est la phase importante parce que s’il n’y a pas un retour vers les gens, ils se lassent. Et puis j’essaye aussi d’insuffler ça dans la société, pour que la protection de la nature avance aussi comme ça.
Les premiers oiseaux lâchés dans le Mercantour, on était désespérés parce qu’ils ont fini par nicher dans le parc de la Vanoise ! Il a fallu attendre les années 2000 pour voir des oiseaux s’installer ici.
Ange, c’est le plus jeune observateur du réseau. C’est super parce qu‘il est passionné par le Parc, les gypaètes. Les gypaètes passent au-dessus de sa maison et chaque fois qu’il en observe un, il m’envoie un petit message. Il arrive à faire des photos aussi, donc c’est génial.
Cette nature intime
Ce qui est important pour moi, c’est la curiosité intellectuelle. J’ai plein de centres d'intérêt. Je ne veux pas toujours passer dans le même vallon et regarder les mêmes chamois. On voit plein de choses différentes quand on regarde par terre, au sol, donc je m’intéresse aux insectes, à l’entomologie. C’est la passion du naturaliste en fait : essayer de déterminer tout ce qu’il y a, pour faire l’inventaire du vivant.
Ce qui me passionne ? L’observation, la compréhension, faire partager, la médiation scientifique pour que tout ça soit partagé par les gens. Je ne me lasse pas de cette nature toujours surprenante, il y a toujours des sujets de curiosité. On peut passer 100 fois sur le même sentier, si on a le regard, on verra toujours quelque chose de nouveau.
Et ce que j’adore dans mon métier, c’est le contact avec la nature évidemment. Pour se déplacer, on est obligé de marcher, on force, on transpire...
Souvent on est seul aussi et là, c’est un contact physique, intime, et on ne peut pas tricher. Surtout l’hiver, quand il fait froid, avec des risques d’avalanche. On est un peu invité dans la montagne, il faut l’aborder avec prudence et humilité, savoir faire demi-tour quand c’est trop dangereux.
Ça demande une connaissance, une compréhension du milieu montagnard. Faut pas être parachuté là et dire « je fonce ! », ça ne marche pas.
Dans notre travail, on a la chance d’avoir cette forte proximité avec la nature. Ca se construit en marchant, en transpirant dans les montées et au fur et à mesure des années, on se connaît. On commence à connaître parfaitement chaque vallon, presque chaque pierre à certains endroits. On sait que par ici, il y a tel oiseau qui niche, ici il peut y avoir la harde de chamois. En fait, on se construit une géographie intime de la montagne...